Description

Descriptif du projet

Si nous disposons déjà de travaux d’enquête concernant les difficultés rencontrées par les jeunes en lien avec le logement en France métropolitaine (Bene et Couronné, 2021 ; Fondation Abbé Pierre, 2013 ; Ménard et Vallet, 2012) ainsi que sur le cas particulier des logements étudiants dans ce contexte (Ink, 2018 ; Pecqueur et Moreau, 2012 ; Maunaye, 2010), les conditions de logement des jeunes vivant dans les Outre-mer restent à ce jour relativement peu connus et peu étudiés, notamment concernant le moment des études supérieures. Les contextes ultramarins, par ailleurs, ne sont pas toujours représentés dans les données quantitatives et statistiques fournies par les enquêtes nationales sur la jeunesse, les conditions de vie ou les études supérieures. Partant de ce constat, le projet de recherche proposé a pour ambition de combler ce manque dans la littérature, et de constituer une contribution pionnière importante pour la construction d’une approche comparée de la sociologie de la jeunesse (Galland, 2004) en France, qui prenne davantage en compte les jeunesses ultramarines.

Contexte

Le modèle de la résidence universitaire a d’abord été mis en place en France, dès la première moitié du XXème siècle, avec l’inauguration à Besançon (1932) par l’architecte René Tournier de la « cité Canot ». Logement social (Flamand, 1989 ; Priault, 1931) spécifiquement dédié aux populations jeunes et étudiantes, la résidence universitaire fonctionne sur la base d’une offre de logement à bas coût proposant des chambres individuelles (ou plus exceptionnellement, partagées) dont la dimension, standardisée, oscille autour d’une dizaine de mètres carrés, et d’espaces partagés (cuisine, buanderie, éventuellement, salle de travail) (CROUS, 2017).

Tout comme en métropole, les jeunes habitant en résidence universitaire dans les Outre- mer ne sont pas seulement issus de milieux socioéconomiquement défavorisés, mais proviennent également de territoires périphériques ou ruraux : l’accès à une chambre ou à un studio en résidence, dans ce contexte, constitue une condition déterminante dans la poursuite du parcours en études supérieures. Ce passage constitue, par ailleurs, souvent une première expérience de l’autonomie résidentielle (Castell et al., 2016), bien que cette autonomie soit parfois éphémère, lorsqu’elle ne marque pas une décohabitation radicale ou définitive avec le logement familial d’origine (Dietrich-Ragon, 2021 ; Gaviria, 2020 ; Insee, 2016 ; Insee, 2018), et qu’elle soit à nuancer au vu du fort encadrement institutionnel des vies quotidiennes.

Questions de recherche

Au moins deux spécificités relatives aux contextes ultramarins étudiés peuvent ici être mentionnées afin de saisir l’intérêt d’une enquête sur le logement étudiant et la jeunesse dans ces territoires et faire émerger les questionnements exploratoires orientant notre recherche :

• Relativement jeunes par rapport aux universités métropolitaines, les universités d’outre-mer comptent parmi les moins bien classées à l’échelle nationale et l’abandon des études (en cours d’année ou avant la fin d’un parcours diplômant) est relativement fréquent. Certains travaux s’intéressent actuellement aux raisons et aux représentations en jeu dans ce constat de l’échec scolaire à l’université (Boucher, 2022) : quel rôle joue l’accès à un logement en résidence universitaire dans la poursuite ou l’abandon des études ?

• La parentalité étant relativement plus précoce sur ces territoires qu’en métropole, l’âge des études universitaires coïncide, par ailleurs, régulièrement avec l’âge de la parentalité : comment la vie familiale est-elle combinée à la vie en résidence universitaire ?

Il s’agit de répondre à ces questions de recherche en retraçant les trajectoires résidentielles (Berthod- Wurmser, Gonzalez, 2016) des jeunes avant et après leur passage à l’Université, ainsi qu’en restituant l’expérience vécue et perçue du chez-soi en institution. Trois axes scientifiques seront déployés afin de saisir les trois temps autour de la vie en résidence universitaire : (l’avant) « l’accès au logement universitaire et ses enjeux » (axe 1), (le pendant) « habiter en institution» (axe 2) et (l’après) « aspirations et perspectives résidentielles des jeunes après l’université » (axe 3).

•Axe 1. L’accès au logement universitaire : conditions, barrières et enjeux

Cet axe analyse l’accès au logement universitaire sur les trois terrains d’enquête, à partir d’une collecte de données quantitatives institutionnelles et qualitatives (auprès des services universitaires, de l’observatoire de la vie étudiante, des associations locales d’accompagnement des jeunes dans leurs démarches) et des entretiens sociologiques plus directement menés avec les étudiant.e.s résidant.e.s. Le déploiement de cet axe de recherche permettra de saisir les conditions d’accès des jeunes à un logement universitaire dans le contexte des outre-mer, en prenant en compte les barrières et les embûches (Maunaye, 2016) que ces derniers rencontrent dans leurs démarches, mais aussi les ressources qu’ils mobilisent pour les contourner. Enfin, nous nous intéresserons aux enjeux de l’accès à un logement en résidence universitaire en dehors des seules dimensions économiques et scolaires, tels qu’ils sont énoncés dans les discours des jeunes en lien avec leurs parcours personnels (notamment, par exemple, leurs histoires familiales).

•Axe 2. Habiter en institution

Comment la « résidence universitaire », en tant que modèle sociospatial normé, inventé et produit en métropole, est-elle habitée par les jeunes dans les contextes d’outre-mer ? D’abord soumis à une sélection d’entrée, l’accès à un logement en résidence universitaire implique, ensuite, le respect de normes d’usage et de règles de vie relativement nombreuses : habiter en résidence universitaire implique, ainsi, un quotidien encadré par l’institution. Cet axe de déploiement de l’enquête est, ainsi, entièrement dédié à l’expérience de l’ « habiter » (Lussault, Paquot et Younès, 2007) et du « chez soi » des jeunes en résidence universitaire, ainsi qu’à leurs conditions de vie dans ce contexte. Il aborde, notamment, « les mondes vécus de l’étudiant-habitant » (Pecqueur et Moreau, 2012), dans les différents contextes étudiés.

Nous nous intéresserons ici aux pratiques de vie et aux sociabilités que les jeunes mettent en œuvre, au quotidien, dans ces logements qui leur sont fournis, dans un contexte où les normes institutionnelles tendent à structurer les manières de vivre. Outre les entretiens et les observations des espaces résidentiels (chambres, espaces communs), nous nous intéresserons également dans cet axe aux différentes « ingénieries institutionnelles » des résidences universitaires dans les trois contextes étudiés, afin de mieux saisir la marge de manœuvre décisionnaire dont disposent éventuellement les étudiant.e.s. L’enquête prendra ici en compte, par exemple, comment, dans le cadre de la vie en résidence universitaire, certain.e.s jeunes s’emparent d’un rôle associatif. Enfin, il s’agit de saisir les formes de négociation plus officieuses, voire de contournement des règles, dont font usage les jeunes face aux normes résidentielles qui encadrent leur mode de vie dans ces espaces.
Le déploiement de cet axe nous permettra, également, de faire le lien avec les parcours de décohabitation vis-à-vis du logement familial d’origine, en interrogeant les allers-retours des jeunes habitant en résidence universitaire entre ce dernier et leur chez-soi en institution.

• Axe 3. Aspirations et perspectives résidentielles des jeunes après l’université

Quand bien même les jeunes habitent (ou tentent d’habiter) les logements mis à leur disposition dans les résidences universitaires, ces derniers ne constituent que des lieux de passage provisoires dans leurs trajectoires résidentielles. Comment ce passage s’inscrit-il ou non dans la « spirale des inégalités » (Bugeia-Bloch, 2013) de l’accès au logement des jeunes, sur les trois territoires étudiés ?

On cherchera ici à prendre en compte, d’une part, les stratégies résidentielles réelles et envisagées par les jeunes au sortir de la résidence universitaire, et d’autre part, les projections d’un futur chez soi idéal en dehors de l’université, c’est-à-dire les aspirations sociales à une situation résidentielle future imaginée : comment les jeunes, sur les trois terrains d’enquête, se représentent-ils leur avenir résidentiel ?

Le déploiement de cet axe nous permettra de proposer une contribution pionnière sur les aspirations résidentielles des jeunes dans les outre-mer, en prenant en compte le fait que, contrairement à la métropole, ces contextes sociaux sont marqués par le familialisme (Paugam, 2011), la pratique de la colocation entre jeunes non apparentés étant, par exemple, bien moins présente et sollicitée qu’en métropole.

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